mercredi 10 février 2016

Les réfugiés privés de refuges

Chaque jour nous apprenons de nouveaux drames : la Méditerranée est devenue le cimetière des "malchanceux" que la tempête ou les criminels ont envoyé par le fond.

La solidarité des humains n'est, pour une partie des opinions publiques, qu'une tentation laxiste à laquelle il faudrait savoir s'opposer pour protéger les populations européennes de l'envahissement des misérables et de l'intrusion des extrémistes musulmans qui se mêleraient à eux !

C'est une erreur stupide et un faute lourde que de refuser d'accueillir les réfugiés qui fuient, avec leurs enfants, en famille, la mort, la misère et la famine. On n'arrêtera pas, du reste, le flux des exilés qui préfèrent affronter les risques de la mort par naufrage plutôt que de continuer à subir, dans leur propre pays, des violences inouïes et sans fin. Nous ne pouvons, notamment en France, continuer à  renier nos valeurs en abandonnant dans le froid, la boue et la peur les personnes qui stagnent à Calais et Grande-Synthe, dans le Nord de la France, bloqués face au Royaume-Uni.

Nous allons payer très cher cette inhumanité qui, dans toute l'Europe, conduit à tenter d'interdire l'accès à nos pays soit disant démocratiques. Les contradictions et les incohérences ont commencé, d'ailleurs, à nous mettre en porte à faux ! Contradiction, en effet, que de continuer à nous réclamer des Droits de l'homme tout en écartant toute recherche d'une concertation en vue d'une répartition de l'effort, assurément considérable, qu'ont à effectuer les peuples qui voient arriver des centaines de milliers de réfugiés, nullement migrants et qui n'espèrent plus qu'en nous. Incohérence, plus encore, que de vouloir fermer, en vain, nos frontières. Nous ne pouvons ni arrêter ni supprimer les arrivants qui ont tout quitté et n'envisageraient de repartir que si disparaissaient les causes multiples et profondes de leur fuite vers l'inconnu !

Mais il est d'autres contradictions et d'autres incohérences encore. Nous avons oublié l'exode tragique des Français, en 1940. Nous avons oublié que des millions et des millions d'Allemands et d'Allemandes ont été réfugié(e)s, maltraité(e)s, violé(e)s, en 1945. Nous oublions que des millions de Syriens ont déjà fui au Liban, en Jordanie et en Turquie. Nous oublions que les Irakiens, les Afghans, les Érythréens qui, en plus des Syriens, tentent de trouver un avenir en Europe, sont les victimes de guerres qui ont été déclenchées souvent par des Occidentaux, et notamment par les USA. Nous oublions que les arrivants, désespérés s'ils sont massivement repoussés, ne pourraient, un jour, que se retourner contre nous. Nous oublions que, sauf à éliminer physiquement tous les réfugiés, (perspective qui n'est envisageable que par des néo-nazis !), ces autres humains finiront, avec le temps, à partager nos vies. Nous oublions, en bref, que l'Europe comme les Amériques ont été, sont et demeureront (ce qui fait leur force) des terres d'immigration.

Les insensés et les fanatiques qui ne veulent "aucun migrant chez nous" iraient-ils jusqu'au bout de leur irascibilité en faisant appel à l'armée, non seulement pour canonner les bateaux des passeurs mais pour mitrailler les foules qui franchissent nos frontières sans droit ni titre ?

L'hebdomadaire le 1, daté du 10 février 2016, sous la plume de Laurent Godé qui écrit Ci-git la France, dénonce cet égoïsme tragique qui ne peut conduire qu'à des flambées de racisme meurtrières et inefficaces s'il s'agit d'éviter l'entrée de nouveaux arrivants en Europe. Quand on a connu les atrocités de l'armée de Bachar el Assad, les épouvantes liées aux crimes multiples du pseudo "état islamique", sans oublier les massacres perpétrés par les avions russes, on ne craint plus les brutalités, ni même les risques de pogroms que les nationalistes de toutes sortes n'hésitent pas à envisager voire à réaliser, soit disant au nom de notre culture judéo-chrétienne, contre toute évidence si l'on entend la parole du Pape François (2) !

Quand la mer use de toute son énergie, on ne l'arrête pas, même avec des digues. "L'hospitalité n'est pas un devoir, c'est un droit" s'exclamait, le 17 septembre 2015, l'historien Patrick Boucheron, nouveau membre du Collège de France (1). Quiconque apparaît sur Terre a droit à la sollicitude de tous les autres êtres humains. C'est, sinon, la fin de la civilisation ! Des philosophes des Lumières jusqu'au Pape François, venu à Lampedusa, une seule exigence s'est exprimée : la solidarité et la fraternité entre tous les habitants de "la Maison commune" est notre unique horizon. Y renoncer serait détruire en nous notre humanité même !

Rien n'arrêtera les réfugiés car ils n'ont d'autre choix qu'entre le maigre espoir de trouver un avenir (en partant) ou l'absence totale d'espoir (s'ils demeurent là où les moyens élémentaires de vivre ont disparu). Selon le HCR (l'Agence des Nations unies pour les Réfugiés), 60 millions de "Sans-terre", un humain sur 122, ont dû quitter leur pays d'origine. C'est énorme et ce n'est rien ! Ce n'est pas une question de nombre ! Qu'est-ce qu'un à deux millions de nouveaux venus dans une Europe de plus de 500 millions d'habitants ?

Angela Merkel, le véritable "homme politique" en Europe, a su dire que son pays ne fuirait pas ses responsabilités, en dépit des difficultés qui s'accumulent et perdureront. Serait-elle la seule à être consciente de l'avenir et des valeurs sur lesquelles se bâtit toute démocratie ? Elle résiste, de son mieux, aux oppositions que rencontre sa politique d'accueil, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Allemagne ! Elle mérite notre soutien.

Priver les réfugiés de refuges serait ruiner le crédit moral et l'avenir politique de l'Europe tout entière. Nous ne tarderons pas à le constater. Il faudra bien, alors, nous aussi, faire face à nos responsabilités. L'Allemagne a besoin de la France qui ne saurait, plus longtemps, demeurer inhospitalière.

(1) Interview recueilli par le quotidien La Croix.
(2) Pape François. Où est ton frère ? Paroles sur les migrants et les réfugiés. Bayard, 2015.


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