J'ai eu à connaître le texte suivant, écrit par un ami. Je l'approuve. Je le publie.
Jean-Pierre Dacheux
Intervention
militaire française au Mali
Oser ne
pas justifier la guerre
Nous sommes en guerre. Vous, moi, chaque citoyen-ne français-e participe par son silence à
l’approbation muette de l’offensive militaire de la France au
Mali du 12-13 janvier 2013, décidée par le Président de la
République Française, démocratiquement élu, François Hollande.
L’entrée en guerre soudaine de la
France au Mali et l’unanimité médiatique qui l’accompagne ne
peuvent qu’interpeller les militant-e-s de la non-violence. N’étant
pas spécialiste du contexte de cette intervention, je me contenterai
de poser quelques questions à son propos, tant il est indispensable
de maintenir éveillé l’esprit critique face aux fausses évidences
du bellicisme.
- Raconté par les grands médias, le
récit de la situation politique au Mali est simple et semble
justifier la belle unanimité politique qui règne au sujet de
l’intervention militaire de la France, du Front de Gauche au Front
National, à quelques nuances près. Ce discours médiatique, le
voici : le nord du Mali est occupé depuis le printemps 2012 par
des forces islamiques armées qui imposent une charia sanguinaire aux
populations. Affaiblis par un putsch au printemps, l’État et
l’armée maliens n’ont pas les moyens de lutter seuls contre cet
ennemi. C’est dès lors notre devoir en tant qu’humanistes
d’intervenir pour essayer d’empêcher que cette junte
islamo-terroriste s’empare de la capitale malienne, Bamako.
Qui donc oserait empêcher la cavalerie
d’intervenir lorsque Fort Alamo est encerclé par les Indiens ?
- Comme lors de l’intervention
militaire occidentale en Lybie, il est extrêmement difficile de
faire entendre une voix discordante de l’unanimisme va-t-en guerre.
Nous avons tellement été préparés par le récit médiatique à
la légitimité d’une telle intervention, que cette dernière nous
semble comme l’aboutissement logique et inévitable de cette
situation. Il faudrait être anti-démocrate, anti-humaniste,
anti-féministe et « munichois » pour oser ne pas
justifier la guerre et ne pas l’accompagner de ses encouragements.
Quel est le rôle des médias dans la
création de ce récit mettant en scène l’intervention inévitable
et salvatrice des forces du bien (les occidentaux) contre les forces
du mal (les islamistes) au profit de ces pauvres et braves africains
incapables de se défendre ni de gérer leurs conflits par
eux-mêmes ?
Faut-il rappeler le rôle fondamental
que jouent les industries de l’armement dans la presse française,
à travers Lagardère et Dassault ? Est-ce aller trop loin que
de faire le lien entre un discours pro-guerre sous couvert de valeurs
humanitaires, et le soutien à l’industrie militaire française ?
Un industriel qui possèderait la majorité des médias d’un pays,
ferait-il campagne dans ces médias pour critiquer et empêcher
l’usage des produits qu’il fabrique ?
Pour évoquer l’attitude de
protection, par nous autres Occidentaux, de ces pauvres Africains,
qui semble aujourd’hui justifier l’intervention militaire
française, ne peut-on employer la notion de « paternalisme » ?
Cette dernière n’est-elle pas une notion clé du colonialisme ?
La France est-elle toujours là
lorsqu’il s’agit de défendre la démocratie ?
Pourquoi la France ne se donne-t-elle
pas autant de moyens pour protéger les centaines de milliers de
papous massacrés depuis 40 ans par le gouvernement indonésien ?
Et ailleurs ?
- Est-il décent que le principal débat
qui, au fond, passionne les journalistes des grands médias français,
concerne l’influence de cette entrée en guerre sur l’image
médiatique de Hollande ? « Hollande va-t-il cesser d’être
considéré comme ‘mou’ ? » est bien plus important que
« Binta va-t-elle voir sa famille mourir sous ses yeux ?
».
La preuve de la capacité d’un chef
d’État à gouverner, à être légitime, à mener un peuple,
semble se réduire à sa virilité guerrière : combien de
siècles en arrière sommes-nous revenus ? A quel degré ce
débat se place-t-il sur l’échelle du bellicisme et du virilisme
patriotique ?
- Les civils maliens morts dans
l’offensive de l’armée française du 12-13 janvier 2013 sont
qualifiés dès le 13 au matin sur France-Inter par un général, de
« dommage collatéraux ». Si tel est le nom anecdotique
que l’on donne au meurtre en notre nom de dizaines de civils, alors
demandons tout de suite à la justice de requalifier les crimes
passionnels en « pichenettes malencontreuses ».
- Les armes utilisées par les
combattants islamistes et touaregs viennent largement, selon les
grands médias, de Lybie. Et les armes lybiennes, d’où
viennent-elles ? La France n’a pas cessé de contracter de
juteux contrats d’armement avec la Lybie durant des décennies. Il
se pourrait donc que nous assistions à une simple opération
d’écoulement de la surproduction d’armes françaises, les armes
actuelles venant donner une leçon militaire aux armes d’occasion
utilisées par les combattants du nord. L’armée a toutefois le bon
goût de faire s’affronter ses propres armes sur un territoire
étranger.
- Personne ne trouve rien à redire au
fait que, au Mali comme en Côte d’Ivoire, ce soit la France,
ancienne nation colonisatrice, qui intervienne militairement. Etant
donné ce passé pourtant, la France est la dernière puissance
légitime pour y intervenir militairement, sans donner la persistante
impression d’une continuité néocoloniale.
- Pourquoi, précisément, la France
a-t-elle été si empressée, à la proue des nations mondiales, dans
sa protection démocrate et désintéressée du peuple malien ?
Toutes les personnes qui ont entendu parler de la Françafrique
savent que notre pays joue dans cette partie du continent africain un
jeu à peine voilé pour le contrôle de la situation politique de la
région. Elle a substitué à son ancien empire colonial, trop
voyant, un pré-carré qu’elle maîtrise à grand renfort de
corruption, de soutien militaire aux dictatures et de coups d’Etat.
Le Mali fait partie des territoires restés assujettis au giron
français depuis les indépendances et il n’a pas plu à la
puissance néocoloniale que le contrôle de cet Etat lui échappe.
Mais pourquoi ?
- La France a maintenu le Mali dans une
relative stabilité pour les mêmes raisons que pour le reste de sa
politique françafricaine : le contrôle de ses intérêts
stratégiques sur ce continent (ressources minérales et énergétiques
en particulier). Or, que voit-on à quelques kilomètres de la
frontière avec la zone nord du Mali, au Niger ? Les mines
d’uranium d’Arlit, élément important de l’approvisionnement
en uranium de la filière nucléaire française. A Arlit, les
filiales d’Areva font leur loi, au mépris de la démocratie et de
la santé des populations. On a donc un lieu stratégique pour le
fonctionnement du complexe nucléaire civilo-militaire français,
lui-même au cœur de l’Etat. Il est certainement hors de question
pour la France de laisser planer une quelconque menace sur ce site
stratégique pour son économie, sa puissance militaire et sa
grandeur diplomatique.
L’armée française, concernée au
premier plan par l’approvisionnement en uranium d’Arlit, est donc
la première à intervenir. Pure coïncidence, bien sûr.
- Concernant les acteurs en présence :
les Touaregs du nord du Mali ont contracté une alliance
contre-nature mais opportuniste avec les islamistes radicaux. Après
des décennies de lutte pour la reconnaissance de leurs
revendications et de leurs droits, ils ont voulu saisir une
opportunité unique de faire changer la donne politique. Il ne s’agit
pas de justifier cette alliance. Mais avant d‘émettre des
jugements définitifs sur ce choix stratégique, pourrait-on revenir
un instant sur l’analyse de ces décennies de lutte et de négation
de leurs revendications ? Quelles étaient leurs
revendications ? Étaient-elles légitimes ? Comment, par
quels moyens les ont-ils exprimés ? Qui tirait les ficelles de
la répression et au nom de quels intérêts ?
-Concernant les combattants islamistes
armés, il ne s’agit aucunement de les justifier, mais de se poser
quelques questions similaires à celles que l’on posait à l’époque
du 11 septembre 2001. Pourquoi l’islamisme se développe-t-il ?
A quelle colère répond-il ? N’est-il pas le triste vecteur
qui s’offre aujourd’hui à l’expression d’une colère d’une
partie du monde ravagée et expropriée par la mondialisation
capitaliste ? Quand l’on considère qu’il y a largement de
quoi nourrir le monde entier mais que les mécanismes du libre
échange confisquent les richesses d'une majorité du monde au profit
de quelques uns, quand on sait le pillage violent et sans vergogne de
continents entiers au profit du bien être d’une minorité de
privilégiés, comment peut-on se contenter de pourfendre ceux qui se
réfugient dans la violence islamiste, sans commencer par se remettre
en cause d’abord ? Sans examiner notre part de responsabilité
dans cet état des lieux ? Un graffiti sur un mur de Strasbourg
posé lors du sommet contre l’OTAN en 2007 affirmait : « Le
capitalisme fait plus de morts en un jour que le terrorisme en une
année ». Qui oserait affirmer le contraire ? Que cela ne
nous empêche nullement d’être révoltés et de lutter contre le
terrorisme et l’islamisme radical. Mais nous devrons être 365 plus
révoltés contre l’horreur invisible du capitalisme auquel nous
participons silencieusement, et 365 fois plus actifs pour la faire
cesser au plus vite. Il ne s’agit donc ni de justifier ni de
minimiser les horreurs accomplies au nom de l’islamisme. Mais de se
poser la question des causes et des effets, des ordres de grandeur et
des priorités, question sans laquelle nous ne saurions prétendre
« penser ».
Ultime question : tous ces
questionnements se retrouvent-ils dans les grands médias ? Et
sinon, pourquoi ?
Guillaume Gamblin
13 janvier 2013