samedi 12 novembre 2011

Avons-nous jamais vécu en démocratie ?



La démocratie, selon le dictionnaire courant, Le Robert, serait "la doctrine politique d'après laquelle la souveraineté doit appartenir à l'ensemble des citoyens; organisation politique (souvent, la république) dans laquelle les citoyens exercent cette souveraineté".

La 86e semaine sociale de France a choisi comme thème : "La démocratie une idée neuve". Est-ce à dire que nous n'aurions jamais connu la démocratie et qu'il serait urgent de la penser, (pas même de la repenser) ?

Je crains que la confusion ne se soit emparée de l'esprit des organisateurs de la Semaine sociale ! La démocratie n'est pas une idée neuve ! Si elle n'a pas pénétré la pratique politique, c'est parce que sa mise en œuvre exige des vertus qui n'existent pas, actuellement, en Europe occidentale et parce que le pouvoir n'est pas, (comme le disait Descartes à propos du bon sens) : "la chose du monde la mieux partagée".

La démocratie conçue par les Grecs, définie par les Philosophes et notamment Rousseau, essayée, en France, pendant les quatre premières républiques, semble, à présent, réduite à l'élection des élites de la nation au suffrage universel. Les traces de démocratie laissées dans les institutions sont plus des graines de démocratie que la manifestation de l'existence d'une plante démocratique vivace. Aujourd'hui, la Ve République a si fortement concentré le pouvoir que nous avons pu voir, depuis 1958, la monarchie, républicaine ou pas, se restaurer progressivement sous nos yeux.

C'est de la manière dont nous avons usé de la démocratie qu'il conviendrait de débattre et de faire le procès estime Jérôme Vignon, le président des Semaines sociales de France. Pas seulement ! Selon moi, voici ce qui devrait faire l'objet d'un long et lent travail citoyen, devant déboucher sur une "reconstitution" de la République :
1 • la compatibilité entre la démocratie et un régime présidentiel, où que ce soit sur Terre, et plus spécialement, bien entendu, dans notre propre pays, où le Chef de l'État est un monarque incontesté, avec un déséquilibre entre les trois pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) qui aurait scandalisé Montesquieu !
2 • La compatibilité entre la démocratie et le système économique capitaliste actuel dont on constate qu'il fait et défait les gouvernements (sans élections, aujourd'hui, en Grèce et en Italie) et, plus encore, qu'il détermine les politiques en fonctions d'intérêts financiers qui ne sont pas ceux de la majorité des citoyens.
3 • La compatibilité entre la démocratie et la représentation voire la participation politiques, telles qu'elles restent pratiquées et qui aboutissent au cumul des mandats (dans le temps et l'espace), au sexisme politique, à la centralisation autoritaire des pouvoirs, à la faible possibilité d'intervention dans la vie publique entre deux élections, au maintien d'une organisation des pouvoirs publics ne tenant pas compte de l'énorme possibilité d'information et de communication offertes aux citoyens par les technologies modernes.

En clair, nous aurions bien besoin, comme en 1789, de Cahiers de doléances, rédigées en tous lieux du pays, préparant des États généraux de la République, en vue de désigner une assemblée Constituante, mandatée pour rénover, en profondeur, des institutions et des animations politiques qui engloberaient et déborderaient les partis et tous autres organismes traditionnels sans leur déléguer l'ensemble de la volonté populaire !

La politique, si elle exige des compétences, lesquelles s'acquièrent, n'est pas un métier. Être élu est un service et non pas une carrière. La désignation ne passe pas uniquement pas les élections et le tirage au sort doit être sérieusement envisagé comme une possibilité qui ne se limite pas à la composition des jurys d'Assise ! La démocratie est non seulement "inachevée", comme le constatait Pierre Rosanvallon, en 2000, elle balbutie comme une nouvelle née, et se cherche indéfiniment, au milieu de contradictions et des obstacles élevés par des politiciens professionnels.

Il faut, dès lors, être clair : si la démocratie n'est praticable, compréhensible et admissible qu'associée au système économique capitaliste, elle n'a pas d'avenir. Si la démocratie ne peut conduire, par souci d'efficacité, au partage le plus large possible des responsabilités politiques et économiques, elle n'est pas. Si la démocratie peut être invoquée par ceux qui confisquent et manipulent l'exercice de la volonté populaire, mieux vaut n'en plus parler.

On abuse du mot démocratie, quand on affirme, dans la Constitution française elle-même, mensongèrement, que la République a pour principe : "gouvernement du peuple, pour le peuple et par le peuple" ! Qui ne voit que par le peuple signifie exclusivement : par les délégués du peuple ? Qui ne constate, notamment aujourd'hui, que pour le peuple, à la vérité, doit s'entendre : pour la partie la plus favorisée du peuple ? Qui ne comprend, enfin, que gouvernement du peuple est devenu : gouvernance du peuple des citoyens (ou sur le peuple) par des élites déterminant elles-mêmes ce qui est bon ou non pour le dit peuple ?

Ou bien il faut renoncer à la démocratie (si elle n'est que cette caricature d'organisation politique renouant avec le plus ancien des régimes, celui des oligarques et des privilégiés) ou bien, il faut lui donner un contenu tout neuf, (qui stoppe la dérive régressive, hors des a priori de cette droite et de cette gauche parfaitement adaptées au maintien du statu quo économique et politique).

Nous n'en sommes plus à rechercher quel régime antérieur était préférable ! Le printemps arabe nous a surpris et éblouis parce qu'y surgissaient des revendications et une volonté démocratiques, là où nous pensions les dictatures installées à jamais. Que n'avons-nous balayé devant notre porte ! Sans doute parce que les dictatures camouflées, celles des banques et de leurs complices politiques, notamment, sont autrement mieux protégées encore que les dictatures ! L'apparence de démocratie trompe davantage que la tyrannie.

Avons-nous, alors, jamais vécu en démocratie ? Nous en avons aperçu les formes, nous en avons parfois goûté la saveur, nous en avons constaté la possibilité, nous en avons aimé les appels à la liberté de pensée, mais nous avons été trompés. Une démocratie en marche, fragile et incertaine encore, dès qu'elle s'arrête, s'étiole. Quand république et démocratie se superposent, fut-ce abstraitement, cela signifie qu'on conçoit, comme une utopie à notre portée, un régime où la res publica, la chose publique, le service public et la souveraineté populaire, les pouvoirs de décider soient organisés de façon prioritaire, non héréditaire, et sans aucun privilège.

Si ce n'est qu'un rêve cessons d'invoquer la démocratie : elle serait, alors, pensable certes, mais impossible ! Si, au contraire, c'est la seule utopie politique approchable, faisons-la exister vraiment : c'est notre dernière chance, avant de sombrer, pour des siècles peut-être, sous la dictatures des marchés, des puissants et des menteurs.


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