samedi 22 août 2009

Fin et réinvention de la gauche



René Dumont (1904-2001)

En 1977, René Dumont, à 73 ans, "livrait l'expérience de toute une vie" dans un livre (1), (paru chez Robert Laffont), dont on n'a pas bien compris, alors, le titre : "Seule une écologie socialiste..." Il y exposait, de façon ô combien prémonitoire, les crises auxquelles nous serions confrontées et auxquelles seule l'écologie fournirait une réponse (p.277). Il y rendait compte de sa tentative pour "écologiser les partis politiques" et "politiser les écologistes" (p.278). Il y affirmait que "l'écologie n'est pas apolitique puisqu'elle est d'abord anticapitaliste" (p.285). Il y avançait l'hypothèse d'une "écologie socialiste" mais qui "se situe bien loin à gauche de la gauche, dans une optique toute nouvelle" (p.285). Bien sûr, cet ouvrage, écrit voici plus de 30 ans, alors que l'Union soviétique était encore dominante et plusieurs années avant que la gauche n'accède aux affaires, en 1981, contient des propositions obsolètes, mais il contient aussi des analyses fulgurantes qui retrouvent l'actualité sociale, économique et politique de la fin de cette première décennie du XXIe siècle. C'est sous cet éclairage que je place les débats d'orientation politique qui se produisent, ces jours-ci, au moment où les Verts, au sein d'Europe Écologie tiennent leur Université d'été.
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Vraies divergences ou fausses ruptures?
Ce n'est pas moi qui qui pose la question! C'est, page 8, dans sa rubrique la rentrée politique, le quotidien Le Monde qui, le 20 août 2009, titrait ainsi sa double interview : de Vincent Peillon (pour le PS) et Daniel Cohn Bendit (pour Europe-Écologie).

Le matin même, à l'occasion de l'ouverture des Journées d'été des Verts, à Nîmes, le quotidien Libération, concluait son éditorial par l'étonnante et sibylline phrase suivante: "c'est en verdissant son post matérialisme que que Martine Aubry bâtira des alliances durables".

Bref, les grandes manœuvres politiciennes ont recommencé. Les médias s'en mêlent car, comme l'écrit Patrick Roger, du Monde, : "derrière le combat des régionales, c'est la présidentielle de 2012 qui déjà se prépare".

Ecologie, autonomie, solidaritéL'autonomie politique des écologistes, lors des précédentes élections régionales, en 2004, a connu des hauts et des bas. En Ile de France, l'alliance PS-Verts, dès le premier tour, avait connu un succès net, mais tout autant l'autonomie des Verts dans la région Rhône-Alpes. Autrement dit, autonomie ou pas, les listes de gauche, unies au premier ou second tour, avaient, alors, permis que la quasi totalité des régions, sauf l'Alsace, soient gérées par le PS mais avec le concours de ses alliés.

C'était au temps où s'opposaient ceux qui croyaient possible l'affirmation politique directe de l'écologie politique et ceux qui pensaient qu'il fallait entrer dans les exécutifs pour peser sur les politiques publiques, quitte à se fondre dans les listes qu'ouvrait le PS. La calamiteuse élection présidentielle de 2007 a renforcé considérablement le camp des "réalistes" et, pour les élections municipales de 2007, le nombre des alliances PS-Verts de premier tour a encore augmenté.

Mais vint "la crise", en 2008. Puis, au sein du PS affaibli, s'élargit la guerre intestine après le double échec présidentiel et européen. Puis encore, après la révélation du drame planétaire que causait, inexorablement, une activité humaine illimitée, s'épanouit la mise à la mode de l'écologie ( notamment grâce aux films et aux brillants shows médiatiques d'Al Gore, Nicolas Hulot et Yann Arthus-Bertrand, entre autres...). Puis , enfin, surgit l'émergence électorale d'Europe-écologie grâce coup de poker génial de Daniel Cohn-Bendit à l'occasion des élections européennes, voici quelques mois...

A pu réapparaître, donc, l'exigence d'autonomie politique chez les Verts. Leur succès électoral, franc mais relatif, avec une énorme abstention, autorise-t-il les Verts à faire cavalier seuls? "Pas question de faire le jeu de la droite" s'exclame dans Libération Serge Morin, le Vice-Président Vert de la région Poitou-Charentes, au mieux avec Ségolène Royal. La machine à construire des alliances binaires n'est pas brisée et s'est remise en route. Le premier, Nicolas Sarkozy, bien informé et conseillé, l'a compris et, à présent, racle les fonds de tiroir, à droite, en ouvrant sa majorité à De Villiers et aux Chasseurs, après avoir, semble-t-il, vidé l'autre tiroir, celui des ralliés possibles, à gauche.

Le calme temporaire qui est apparu, cet été, dans la conjoncture économique (mais au prix d'une aggravation dramatique du chômage) permet ces jeux traditionnels où excellent les états-majors des partis. Les journées d'été sont les derniers festivals de vacances où les vedettes remontent sur scène.

Dilemme, à présent, pour le PS : le succès des Verts, élargis en réseau, est-il structurel ou conjoncturel? Dans le premier cas, il faut, coûte que coûte, faire, avec eux, une alliance de premier ou second tour, mais une alliance de projets autant que de candidats. Dans le second cas, il faudra limiter les ambitions de ces impudents, quitte, comme le dit l'éditorialiste de Libé, à "verdir le postmatérialisme", (c'est-à-dire en dépassant le post-marxisme résiduel du socialisme historique, grâce à un ralliement à la croissance verte).


Direction droite et gauche, d'où le choix de l'immobilisme

Nous allons avoir droit à des mois de faux débats. Il ne sera question, en réalité que de sauver des places, soit au prix de concessions (pour ceux qui, dans la gauche ancienne, étaient des acharnés productivistes) soit au prix de limitations des ambitions (pour ceux, tels les Verts et le PCF, qui, dans les Régions, ne peuvent espérer, pour ceux qui y occupent déjà des fonctions proches de la direction, mieux que ce que permet la situation actuelle).

Vraies divergences ou fausses ruptures? En effet! La chance du PS est que le choix n'est pas encore vraiment fait, chez les écologistes : se démarquer du PS et s'unir à lui, tout à la fois, leur est une nécessité électorale. La rupture idéologique publique aurait des effets dévastateurs. Le renoncement à l'affirmation de la spécificité politique de l'écologie, tout autant. Seulement voilà : on ne peut plus marier l'eau et le feu.

Dany Cohn-Bendit "qui n'est plus candidat à rien", qui ne se veut que "l'animateur d'Europe-Écologie", qui pense "réseau" et non parti, qui parle de "changer la gauche", a une plus grande marge de manœuvre, et il sait que casser le premier et fragile élan produit par les Européennes renverrait tous les écologistes à leur marginalisation précédente. Alors, quitte ou double, et vive l'autonomie : là se situe la motivation réelle de sa stratégie. Et le voici tenté de dépasser la problématique divergence ou rupture, en prônant le rassemblement de tous les écologistes d'abord puis de tous les opposants à la droite sarkozienne, définitivement marquée par le ralliement des Chasseurs à l'anti-écologie. De la gauche de la gauche jusqu'au MODEM de François Bayrou, on va ratisser très largement le jardin politique. C'est habile et c'est une vraie stratégie de conquête du pouvoir, mais est-ce bien là la réponse politique dont le le peuple a besoin en cette période de mutation de civilisation?

Ce qui est de nouveau clair, autonomie ou pas, c'est que la prolongation du débat ouvert avant, pendant et après les élections européennes va bien continuer à faire la politique en la transformant en profondeur. On ne fera pas l'impasse de la vraie divergence avec le PS : elle porte sur la croissance. On n'échappera pas à la nécessité s'effectuer une vraie rupture à gauche : elle n'est pas à changer; il faut en changer! Seuls les écologistes auraient les outils intellectuels pour cela : non pas changer la gauche, mais changer de gauche comme l'avait pressenti et espéré René Dumont. La gauche, qui n'est plus identifiée par ses électeurs comme la gauche, n'est plus elle-même depuis qu'elle a rallié, peu ou prou, le productivisme capitaliste, abandonné l'internationalisme (comprendre la solidarité entre tous les peuples) et occupé les sphères de pouvoir auxquelles elle accédait comme on gère des entreprises ou des rentes. Cette gauche-là, ex-communiste ou ex-socialiste, a fini son cycle historique. S'en est ouvert un autre. Dans ce nouvel espace, la gauche traditionnelle n'est plus. Elle est non seulement à refonder, mais à redéfinir et donc à rebaptiser. "L'optique toute nouvelle" dont parlait le premier candidat écologiste à une élection présidentielle, en 1974, qui aurait fait échapper la gauche à ses erreurs historiques, centralisatrices, productivistes, étatistes, nationalistes, violentes, ce socialisme dont René Dumont "cherchait les bases nouvelles et qui ne peut se rattacher aux partis du même nom", était à gauche de la gauche, et non à l'extrême gauche bloquée dans les mêmes références idéologiques que la gauche parlementaire.

Chacun sait qu'en 2009 l'UMP n'existe que comme un agrégat d'opposants à un mythe fondateur, celui de l'égalité de tous les citoyens. Ce mythe est, actuellement, vidé de son espérance. Face à ce rien, le peu que représente la droite aux affaires s'impose et occupe toute la place. Cela ne saurait durer. Il ne peut y avoir de gauche, désormais, qu'écologique c'est-à-dire qui conteste le capitalisme à sa racine pas en le détruisant par la force mais en le privant de ce dont il se nourrit dans tous les domaines : le culte du moi.

Le débat sur l'autonomie va donc maintenant se placer là : pas seulement par rapport au PS (ce serait lui laisser le rôle déterminant de la référence obligée), mais par rapport à tout ce qui fut la gauche, de ses extrêmes jusqu'à son centre mou : oserons-nous placer le partage avant l'avoir pour que l'avoir se partage dans une mondialisation sans domination? Seule la réinvention d'une telle nouvelle utopie fondatrice peut animer une gauche ou une organisation entièrement reconstituée, fondée sur l'initiative prioritaire des citoyens, où économie et écologie ne seront plus que l'envers et l'endroit d'une même action permanente.

(1)
ISBN : 9782221021811

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