mercredi 3 septembre 2008

Mots politiques, mots fétiches

Les mots, font mal les mots,
font les malheurs les mots...
Les mots sont bien des êtres vivants...
Guy Béart


Ce matin, 3 septembre, sur les ondes de France Inter, j'entends le journaliste Thomas Legrand parler de "La Guerre des mots" et citer ceux de ces mots dont les leaders politiques se disputent la propriété : travail, libéral(isme), identité nationale, intégration.


Travail
: Nicolas Sarkozy aurait récupéré, pour la droite, avec son "travailler plus pour gagner plus" ce mot dont Martine Aubry voulait réduire la durée hebdomadaire salariée à 35 heures. Au moment où se met en place le RSA, à la place du RMI, qui ne voit que le plein emploi est un mythe et que, non seulement il y aura toujours, dans toute société, des hommes et des femmes sans emploi, mais aussi des êtres humains ayant du travail une autre conception que celle du travail-marchandise qui s'achète ou se jette au gré du marché. Travail n'est pas un vocable de gauche ou de droite, c'est un mot sacralisé, polysémique, aussi confus que le mot croissance, et qui peut être le meilleur des moyens d'agir (ce qui construit l'humanité) ou le pire (ce qui exploite et détruit l'humanité).

Libéral : la récupération par Bertrand Delanoë de cet adjectif appartenant au discours anglo-saxon dit "de gauche" ne peut effacer ce que l'histoire politique enseigne en Europe : on ne donnera pas un tour social au mot libéral et encore moins à son dérivé systématisant libéralisme. Tout au plus en fera-t-on un rempart contre le dirigisme et le contrôle des mœurs! En France, Alain Madelin fut libéral avant Delanoë, ce qui ne l'empêcha pas de flirter avec la droite, dure aussi peu libérale que possible. Libéral n'est pas un vocable de gauche ou de droite, c'est un mot piège, liberticide à la vérité, parce qu'il se pare des atours de la révolution pour mieux s'emparer du droit d'imposer sa volonté, son pouvoir politique, et ses moyens économiques à la majorité des citoyens, plus dépendants donc plus faibles.

Identité nationale
: encore une locution à double face! Braudel en faisait l'un des repères pour la pensée qui n'avait rien de nationaliste! Jean-Marie le Pen en a fait lui aussi un repère, mais celui qui permet de d'accorder une "préférence" aux seuls Français de France! Brice Hortefeux en est, aujourd'hui, devenu, de fait, le ministre, récupérateur du symbole pour vider au profit de Sarkozy, le vivier électoral d'extrème droite. Identité nationale n'appartient ni à la droite ni à la gauche : c'est ce qui constitue le moyen de donner un nom à une population. L'ambiguïté, là, se déplace vers le mot nation qui, on le sait depuis Marcel Mauss, est soit un monstre auquel il faudrait accepter de sacrifier sa vie, sans discuter, soit le creuset culturel où s'élabore l'une des connaissances du monde.

Intégration
: il est curieux de constater comme les mots s'emboîtent! L'identité nationale est appelée à la rescousse pour contraindre ceux qui prétendraient vivre en France à s'intégrer. La liberté dont on peut jouir devient, alors, la liberté de travailler dans les conditions fixées (et encore...) par la législation nationale tout en "respectant" les habitudes sociales dominantes. Intégration, quoi qu'on dise et quoi qu'on ait écrit, n'a jamais perdu son double sens d'assimilation-insertion. La gauche comme la droite l'ont adopté pour tenter d'obtenir que l'étranger, ou bien se fonde dans la population du pays jusqu'à y devenir transparent et oublié, ou bien, au contraire, y soit utile et bien repérable en attendant un "retour au pays" volontaire ou contraint au terme du temps d'emploi.

La civilisation du travail, dans une société libérale, reposerait-elle sur des identités nationales (le phénomène n'existe pas qu'en France!) qu'on acquiert très difficilement, au terme d'un processus d'intégration, au cours duquel on devient un autre. Bien entendu, dans une société planétarisée, des résistances et des complexités mettent à mal l'ensemble de ces fausses évidences.

Je m'approche des ces mots autrement :
Le travail? Il est effectué, sur Terre, plus par ceux qui sont sans emploi ou qui s'emploient eux-mêmes, que par ceux qui sont employés, de bon ou mauvais gré.
La liberté? Elle consiste à ne pas être dominé par ceux qui disposent, eux, de la liberté de peser sur nos vies.
La nation? Elle est l'ensemble, non nécessairement territorialisé, des constituants d'un peuple que réunissent une histoire, une langue et des valeurs politiques.
L'intégration? Elle est l'entrée, lente, longue et volontaire, d'une personne et en général de sa famille dans un autre univers culturel où elles apportent et font adopter une partie de leurs propres savoirs et richesses.

Visiter le site : Les mots sont importants. http://lmsi.net/

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